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Journée du DIM Matériaux anciens et patrimoniaux

Suivre le patrimoine à la trace

Archives Nationales

Salles des commissions 1 et 2

59 rue Guynemer, 93383 Pierrefitte-sur-Seine

29 mars 2019

 

L’axe transversal « Usages, réflexivité, archives » du DIM Matériaux anciens et patrimoniaux a pour objectif de maintenir en évidence le caractère construit des objets patrimoniaux – qu’ils soient labellisés comme archives, œuvres d’art, pièces d’un patrimoine ethnographique ou naturel – et de rendre sensible non seulement leur caractère ancien mais aussi leur historicité. Il s’agit d’encourager systématiquement les porteurs de projets à prendre en compte cette dimension en s’intéressant aux différents stades du parcours de ces objets au cours des processus d’analyse, de qualification et de mise en collection. Les sciences du patrimoine sont en effet par définition réflexives, dans la mesure où elles travaillent à dénaturaliser des objets pour rendre raison de leur biographie, de leur fabrication, de leurs différents usages, statuts et modes de valorisation – patrimoniale, muséale, marchande – ainsi que des transformations successives qui y ont été associées. Interrogeant la manière dont s’opère la patrimonialisation de ces objets et dont celle-ci affecte la compréhension de leurs usages, les sciences du patrimoine ont également vocation à garantir la transmission informée du patrimoine constitué. La pérennité de la conservation de ces objets suppose donc des pratiques concomitantes d’archivage des données construites et utilisées pour les examiner et les qualifier. La réflexivité des sciences du patrimoine procède enfin des rapprochements disciplinaires inédits sur lesquels elles s’appuient – histoire, histoire de l’art, droit, archéologie, archéométrie, physique, chimie, sciences de la nature… – et c’est aussi cette interdisciplinarité en train de se faire que l’axe transversal du DIM a vocation à explorer et à valoriser.

La présente journée d’études s’inscrit dans cette ambition de réflexivité des sciences du patrimoine sur leurs objets et leurs pratiques. Dans ce travail qui articule des savoirs, des méthodes et des instruments issus de différentes disciplines, la notion de trace apparaît d’autant plus fondamentale qu’elle leur est commune. On la retrouve dans les discours et les pratiques des historiens de l’art, des experts, des archéologues, des physiciens, des chimistes, des paléontologues. Ce sont les traces matérielles dont les objets sont porteurs et/ou révélateurs qui orientent l’examen et l’analyse, dans les différentes étapes des processus d’authentification ou d’attribution des objets – œuvres d’art, vestige archéologique, fossile ou document d’archive. Elles ont vocation à être identifiées, caractérisées puis inscrites dans un ensemble de données disponibles et actualisables. C’est donc en travaillant cette notion, ses définitions et ses usages dans les sciences du patrimoine que nous proposons de réfléchir aux enjeux d’une approche réflexive des projets menés dans ce cadre.

Traces et usages

Comme l’écrit Tim Ingold, la trace est d’abord « une marque durable laissée dans ou sur une surface solide par un mouvement continu » (Ingold, 2011). Elle présuppose donc un support. Point d’entrée matériel dans le passé, les traces peuvent donc être comprises comme des « empreintes » laissées sur les objets à examiner (Serres, 2002) – voire par les objets eux-mêmes. « Quantité infime » (Serres, 2002), la trace est souvent additive – la peinture sur une toile, un graffiti –, mais  elle peut aussi, comme le souligne Ingold, être soustractive – la matière ôtée par grattage, incision, gravure. Ainsi, c’est la présence ou l’absence de quelque chose qui atteste de propriétés de l’objet examiné (Krämer, 2012). À partir et au-delà des caractéristiques matérielles qui rattachent les objets à une époque, les traces permettent d’en reconstituer l’origine, le parcours et les usages. Interprétées par les spécialistes comme des indices, elles permettront, associées à d’autres indices, d’en dresser la biographie sociale, culturelle et politique.

Traces et réflexivité

Les traces matérielles dont l’objet est porteur ne se donnent pas toujours à voir comme telles. La trace peut résulter d’un processus d’élaboration par les différents spécialistes qui examinent et analysent les objets. L’utilisation croissante d’équipements scientifiques pour caractériser les matériaux anciens réinterroge l’identification et le choix des caractéristiques matérielles qui peuvent être traitées comme des traces. Dans le cas du rayonnement synchrotron par exemple, le caractère massif des données obtenues pose la question de l’identification de la trace ou des traces sur le matériau examiné, dont l’analyse permettra de développer des connaissances pertinentes (Anheim, Thoury, Bertrand, 2014).

Traces et archives

Les traces reliées entre elles permettent également de constituer une mémoire. Elles peuvent s’inscrire dans un corpus d’archives constitué ou à constituer (Ricoeur, 2000), renforcer une collection existante ou au contraire la remettre en cause. La notion de « trace»  est en effet au cœur du processus d’élargissement des sources travaillées par les historiens, mais aussi de ses missions – comme celle d’inventer les sources de l’histoire à venir, notamment en étroit partenariat avec les spécialistes de la conservation du patrimoine (Artières, 2015). Au-delà, c’est la traçabilité de la production scientifique qui est en jeu et qui implique dans tout projet de porter attention à l’archivage des données construites au cours de l’examen des objets afin d’en garantir le réemploi.

 

Anheim Étienne, Thoury Mathieu,  Bertrand Loïc, « Micro-imagerie de matériaux anciens complexes », Revue de Synthèse, 6ème série, 2014.

Artières Philippe,  « L’historien face aux archives », Pouvoirs, vol. 153, n°2, 2015, pp. 85-93.

Ginzburg, Carlo,  «  Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », In Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire. Paris, Flammarion, 1989, p.139-180.

Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, Paris, Zones Sensibles Editions, 2011.

Krämer Sybille, « Qu’est-ce donc qu’une trace, et quelle est sa fonction épistémologique ? État des  lieux », Trivium [En ligne], n°10, 2012, mis en ligne le 30 mars 2012, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://trivium.revues.org/4171

Ricoeur Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli. Paris, Seuil, 2000.

Serres Alexandre, Quelle(s) problématique(s) de la trace ? Texte d'une communication prononcée lors du séminaire du CERCOR (actuellement CERSIC), le 13 décembre 2002.

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